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Les chroniques de la Rue des livres

Les présentations de romans, albums pour petits et grands, diffusées sur Radio d'Oc Moissac

Ma révérence / Wilfried Lupano & Lupano.- Delcourt, 2013

Publié le 24 Octobre 2014 in BD, Humour

Ma révérence / Wilfried Lupano & Lupano.- Delcourt, 2013

L’auteur : Wilfrid Lupano natif de Nantes, a passé une grande partie de sa vie à Pau (mais je ne sais pas si il y a rencontré Jean-Christophe Tixier que nous avons eu le plaisir d’avoir sur les ondes il y a quelques temps), et habite aujourd’hui à Toulouse. D’ailleurs, si par plaisir vous passez au bar Le Filochard, vous risquez de le croiser… il en est le patron. La BD a toujours fait partie de sa vie, depuis son enfance et son inspiration, il la trouve sur place : dans les bars et autres lieux de la faune nocturne : de véritables laboratoires de la nature humaine dans lesquels la réalité dépasse souvent la fiction...

Il est le scénariste de la série Little Big Joe autour de l’Amérique au XIX°, mais aussi de L’Homme de l’année où chaque volume aborde une période historique importante (la grande guerre, l’homme qui découvra l’Amérique, l’homme qui tua Che Guevara, l’un des héros de la commune de Paris sous le second Empire…)… et de bien d’autres…

Ses influences nombreuses et variées vont du cinéma, avec les frères Cohen, Mc Quarrey, Audiard, Blier, à la littérature classique et la science-fiction. Lui, que l’on connaissait beaucoup à travers le prisme historique nous surprend aujourd’hui en amorçant un changement de registre : le polar. D’ailleurs, on le retrouve également dans des BD d’Aventure et d’autres genres moins conventionnels.

L’Illustrateur : Rodguen de son vrai nom Rodolphe Guenoden, passionné par l’animation, a travaillé chez Dreamworks à Los Angeles sur "Le Prince d'Égypte", "El Dorado", "Madagascar", "Kung Fu Panda" 1 et 2. Mais il est également passionné par la BD et participe au collectif « Flight » avec des histoires courtes. Peu de collaborations à son actif si ce n’est sur la fabuleuse série Les autres gens qu’il faudra que je vous présente un de ces jours, et ce fameux One shot dont il question aujourd’hui : Ma révérence.

Ma révérence, c’est l’histoire de Vincent, la trentaine, qui traîne sa carcasse dans la banlieue. Chômeur chronique, il a perdu tous ses emplois l’un après l’autre par paresse, tourne en rond, allume clopes sur clopes mais philosophe beaucoup…

Je dirai que 30 ans de 20° siècle ont mis à mal ma définition personnelle de la réussite. Réussir sa vie dans le monde qui est le nôtre est un projet qui me semble aussi raisonnable que d’essayer de s’accrocher au pinceau, quand quelqu’un t’enlève l’échelle…

3 ans plus tôt, il est parti à l’aventure au Sénégal avec l’héritage de sa grand-mère. Un héritage dont il ne reste plus rien mais une errance insouciante, une « parenthèse magique » pendant laquelle il rencontre Rama, une jeune femme très engagée pour son pays. Lui qui vient d’une famille au racisme ordinaire, il s’ouvre à l’amour et vit « un séisme pour la tête et le cœur ». Mais qu’il abandonne lâchement lorsqu’elle tombe enceinte. Pas une lettre, pas un au revoir. Le retour en France est brutal, et il traîne son mal de vivre « comme un con de romantique aviné » jusqu’à descendre dans l’enfer des paradis artificiels. Après un passage en HP, il prend enfin conscience que sa fuite d’Afrique n’était que la peur de devenir père et il n’a de cesse alors que de rappeler Rama régulièrement pour lui promettre de revenir avec suffisamment d’argent pour eux trois sans pour autant passer à l’acte.

Afin d’accomplir sa promesse et de réparer le préjudice moral qu’il pense subir de la société, Vincent fait le choix, cette fois très conscient, de sombrer dans la délinquance et organise un braquage ambitieux qu’il veut non-violent et à visée humanitaire… Malheureusement, il ne trouve pas mieux que de se doter d’un complice assez particulier : Gaby Rocket, un chômeur longue durée, admiratif de Dick Rivers et Johnny Hallyday.

Gaby incarne le rêve américain à la française, le côté obscur de la génération Yé-Yé. Il n’a jamais quitté son trou, mais vit sa propre version de l’esprit pionnier. Car si être pionnier c’est aller là où personne n’est encore allé, alors de ce point de vue, Gaby est un pionnier. Il repousse chaque jour plus loin les limites de ce qui est tolérable en société. C’est un cow-boy social, et les gens autour de lui sont des Indiens qui n’ont pas les mêmes mœurs, et avec qui il ne parvient pas à communiquer. Il est tricard partout, même à l’ANPE. Mais il s’en fout. Il est libre dans sa tête. Il vit son truc à fond, avec sa banane dégarnie et ses santiags à talons biseautés. C’est Peter Fonda dans « Easy Rider » … en moins classe.

Ma révérence / Wilfried Lupano & Lupano.- Delcourt, 2013

La BD oscille d’un évènement à un autre au gré des pensées de Vincent apportant un effet de rythme palpitant car les strates de vie s’entremêlent et se dévoilent au fur et à mesure sans effet de pause dans un récit qui surprend du début à la fin. Les personnages bien marqués (Vincent le dépressif, rêveur immature ; Gaby Rocket, le faux rocker limite asocial ; Bernard le convoyeur de fond qui doit se faire braquer et qu’on l’on suit également), ne sont pas loin d’être des archétypes tant leurs personnalités sont développées. Mais ce qui pourrait nous les rendre antipathiques (c’est-à-dire à peu près tout ce qu’ils font) ne fonctionne pas. On les aime bien parce qu’ils nous amènent à toucher à l’humanité qu’ils dégagent : ils sont des composés de force et de faiblesses, d’ombre et de lumière, de médiocrité et de courage, certains abîmés par la vie, d’autres au grand cœur ou désabusés … Ils nous deviennent si intimes que pour ma part, lorsque j’ai refermé la Bd, j’ai eu envie de leur dire… « A plus … » en ayant l’impression diffuse que je les reverrais…

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