L’histoire d’une famille corse perchée dans un village en montagne.
Elle commence par une photo de famille prise en 1918 où tous les personnages sont présentés, immobiles devant le photographe. On y découvre les liens de parenté entre chaque, on suppose que la famille va se consolider, et c’est au contraire le sentiment de l’absence, parmi tous ces membres, qui s’installe.
Marcel contemple d'abord le spectacle de sa propre absence. «Tous ceux qui vont bientôt l'entourer de leurs soins, peut-être de leur amour, sont là mais, en vérité, aucun d'eux ne pense à lui et il ne manque à personne.»
Marcel n’est pas encore né, il est absent sur cette photo tout comme son père, fait prisonnier dans les Ardennes et travaille dans une mine de sel. Celui rentrera en 1919, les cils brûlés par le sel, les mains usées par l’acidité, les lèvres séchées. Marcel est un enfant du retour de guerre, le fruit « sec » des retrouvailles de ses parents.
Mais ce n’est pas un enfant de la vie, plutôt celui de la survie malgré les horreurs, la fatigue, le désespoir subi. Marcel a traversé le 20e siècle sans trouver sa voie ni le bonheur. Est-il né mort, a-t-il existé ? Fils blessé (ulcère), mari fataliste, grand père injuste..
Toute l’histoire de cette famille est placée sous le signe de la décomposition, de l’absence, du désastre.
Cette déchéance des hommes est comparée avec la chute de l’empire romain. L’auteur fait référence à l’évêque Saint Augustin qui, en 410 lors de la chute de Rome, prononce dans la cathédrale d’Hippone devant ses fidèles un sermon rassurant et cruel : “Le monde est comme un homme : il naît, il grandit et il meurt.” « Toute entreprise humaine est vouée à la décadence ».
Comme les corps des hommes, les empires s’élèvent, vivent, puis s’écroulent.
Jérôme Ferrari nous montre qu’il en est de même pour l’homme.
Dans cette histoire, tous les personnages ont vainement essayé de quitter leur village, pour faire carrière dans l’armée ou tenter des études à Paris. Mais ils sont tous revenus pour s’y réfugier, construire leur vie pour mieux la détruire.
Ainsi, le petit fils Mathieu et son ami Librero, élevé avec lui comme son frère. Partis étudier en philosophie à La Sorbonne, ils reviennent reprendre le café familial. Dans cette institution pleine de vie, les portraits d’hommes et de femmes avec toutes leurs fragilités sont brossés, leurs relations et leur déchéance : la faiblesse, l’envie qui passent par l’alcool, le sexe, la corruption, le crime.
Une seule lumière dans ce récit, c’est Virginie, la sœur de Mathieu qui part en Algérie vivre sa passion d’archéologue sur le site d’Annaba (anciennement Hippone) où Saint Augustin fut êvèque. Elle vit un amour impossible, du au choc des cultures et à son tour, joue l’absente.
«Aurélie comprenait qu'il n'y avait qu'un endroit où elle pourrait vivre librement sa relation avec Massinissa (algérien qui participe avec elle aux fouilles) et cet endroit n'était ni la France, ni l'Algérie, il relevait du temps, non de l'espace, et n'était pas situé dans les limites du monde. C'était un morceau de Ve siècle, qui subsistait dans les pierres effondrées d'Hippone où l'ombre d'Augustin célébrait encore les noces secrètes de ceux qui lui étaient chers et ne pouvait s'unir nulle part ailleurs.»
Massinissa fut le roi numide qui intégra Hippone à son royaume et Aurélie est la seule qui en elle-même réunit des mondes disparus comme elle relie au sein de sa famille les différentes générations.
J.Ferrari a voulu comparer le monde aux hommes, la même fragilité, le même désir de s’affirmer, de se trouver. Dans ce sombre roman qui dégage une grande force envoutante, déroutante, c’est l’espoir et la quête vers la vie qu’il faut retenir.
Les moins :
Phrases très longues de plusieurs pages.
Déstructuré dans le temps. Retours en arrière, on a du mal à s’y retrouver dans les prénoms et l’arbre familial.
Références historiques et religieuses.
Le lire deux fois pour mieux l’apprécier.