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Les chroniques de la Rue des livres

Les présentations de romans, albums pour petits et grands, diffusées sur Radio d'Oc Moissac

Ce cœur changeant / Agnès Desarthe.- Ed. de l’Olivier, 2015

Publié le 16 Novembre 2015 in Romans, Femme, Histoire

Ce cœur changeant / Agnès Desarthe.- Ed. de l’Olivier, 2015

Ce cœur changeant, c’est Rose, l’héroïne de ce roman dont on va suivre la vie secouée par les caprices du destin. Elle est issue d’une famille danoise bourgeoise traversée par des drames intimes. C’est une enfant rejetée par sa mère, élevée par Zelada, la nounou-domestique de la famille, chérie par son père René de Maisonneuve.

Chaque personnage de l’existence de Rose nourri des travers particuliers : la mère est nymphomane ; brûlante pour tout homme qui passe mais d’une froideur de glace avec sa propre fille; le père est travaillé par une logique tortueuse qui l’amène à prendre toujours la décision inverse au bon sens et à la logique; sa nounou portée au range de déesse qui lui apprend surtout les tâches ménagères. Il y a enfin la grand-mère maternelle qui noie les drames de sa propre existence sous des montagnes de sucre et de chair…

Rose, elle, est l’ingénue, la candide qui décide à 20 ans de quitter le giron familial pour vivre à Paris avec toute l’innocence possible due à son rang. Elle ne connait rien du monde ni des hommes, vit dans une bulle dorée. Elle finit par errer dans les rues à la recherche d’un travail, comme s’il allait venir du lui-même vers elle :

Elle aimait prononcer cette phrase pour elle-même, «Je cherche un travail», cela lui donnait l’impression d’être à la fois adulte et pauvre, deux états qu’elle n’avait encore jamais connus et qui lui paraissaient particulièrement intéressants.

Alors, lorsque elle entre dans une gargote sombre pour se protéger d’un malotru qui lui fait des avances auxquelles elle ne comprend pas grand chose, elle se retrouve embauchée par la tenancière pour laquelle elle travaillera comme souillon...

Voilà ce qui arrive, se dit-elle à nouveau, quand on quitte les siens. Jamais elle n’avait senti aussi clairement l’abattement de l’exil. Elle était seule pour la première fois de sa vie, isolée. Plus personne ne la connaissait et elle ne connaissait personne. Ce n’était pourtant pas son premier dépaysement.

Elle découvrira l’amour puis le deuil d’Émile, mort si vite de la tuberculose; sombrera dans les bas-fonds en se réfugiant dans une fumerie d’opium ; sera sauvée par Louise, une belle et libre femme danseuse avec laquelle elle se reconstruira, vivant une histoire d’amour dans un appartement bourgeois au cœur des années folles et puis de nouveau chutera jusqu’à vivre cachée sous un escalier avec sa fille, qu’un jour on lui remit dans les bras après le décès des parents de l’enfant. Une enfant trouvée-donnée pour laquelle elle nourrira un nouvel amour, inconditionnel, celui-là.

Rose, c’est donc ce petit bout de femme attachant, perpétuellement ballottée, souvent spectatrice de sa propre vie qui vivra autant la misère qu’a pu décrire Dickens, que le confort bourgeois à la Jane Austen.

Face à la vie, elle avait la même impression que lorsqu’elle regardait le paysage défiler par la fenêtre du train : si elle était dans le sens de la marche, le panorama semblait se jeter sur elle, et ses yeux affolés ne savaient à quel détail s’attacher ni quelle ligne suivre. Elle se sentait écrasée par l’image qui ne tenait pas en place, ne cessait de se transformer. Assise en sens inverse, elle retrouvait son calme et contemplait l’horizon jusqu’à sombrer dans le sommeil. Alors… alors, songeait-elle, peut-être pourrait-on dire que c’est la même chose lorsqu’on regarde soit en direction de l’avenir, soit vers le passé. Peut-être est-ce pour cela que j’ai tant besoin de mes souvenirs.

Au travers de son regard entremêlé à des souvenirs d’enfance et au travers de toutes ces vies vécues en une seule, Rose va nous faire traverser la grande Histoire et ses turbulences : l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme, les fumeries d’opium, la première guerre mondiale et puis les années folles et la libération des femmes.

Une œuvre à l'écriture élégante, lauréate du prix littéraire du Monde et finaliste du Grand prix du roman de l'Académie française 2015.

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