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Les chroniques de la Rue des livres

Les présentations de romans, albums pour petits et grands, diffusées sur Radio d'Oc Moissac

Ejo / Beata Umubyeyi Mairesse.- La Cheminante, 2015

Publié le 27 Juin 2016 in Nouvelles, Rwanda

Ejo / Beata Umubyeyi Mairesse.- La Cheminante, 2015

Un recueil de nouvelles autour du Rwanda.

Un livre nominé pour le Prix Place aux Nouvelles qui aura lieu à Lauzerte (Tarn-et-Garonne) en septembre 2016

Beata Umubyeyi Mairesse est une auteure rwandaise de 37 ans qui a vécu une partie des évènements de 1994 au Rwanda : trois mois de survie pendant le génocide des Tutsis par les Hutus. « Le refuge d’une cave. La mort qui gronde tous azimuts armée du glaive insensé d’un inique racisme. La terreur. La faim. L’horreur. Puis le miracle. La mort l’a épargnée. Le départ pour la France est possible… » avec pour bagages son amour de la littérature. Elle nous livre, avec Ejo, un premier recueil de nouvelles faits de moments de vie avant et après le génocide.

L’écriture ne décrira donc jamais le génocide, mais tournera tout autour, s’en approchera en faisant entendre les voix des rescapés, de ceux qui reconstruisent leur identité, leur vie et leur mémoire. Des textes, fragments de vies qui se déroulent sur plus de vingt ans et laissent aussi entendre la période d’incertitude et de bascule ayant eu lieu avant le génocide. L’écriture pleine d’émotion, peint une réalité criante et donne la parole aux femmes :

J’ai toujours pensé que rien de bon ne pouvait sortir de nos vies de femmes. Nous sommes trop pleines d’amertume et de souffrances tues, passées de génération en génération, essence que chaque mère a inconsciemment distillée avant de la mélanger au beurre dont elle badigeonne les corps de ses petites filles. Si une génération sur deux, ça pouvait être aux hommes de porter les enfants dans leur ventre et de les élever, le cercle vicieux serait rompu et le destin des filles libéré

Suivant les histoires qui sont aussi parfois pleines d’humour et de poésie, on découvre la complexité des rapports Tutsis / Hutus (un fils Hutu se retourne contre sa mère Tutsi, une jeune femme attend le retour de son amour, parti combattre avec les rebelles), la vie de ceux qui ont fuit ou de ceux qui sont restés. Est abordé aussi bien entendu, le traumatisme de l’après, à l’image de cette nouvelle « Béatrice-Coup d’état classique ». Béatrice, étudiante en France, qui sept ans après les évènements, se réveille au son de la radio en état d’alerte, prête à fuir immédiatement. La nouvelle revient sur le rôle de la radio au Rwanda, unique outil de communication :

Amatangazo, c’était comme de mettre le pays entier sur écoute : les bonnes comme les mauvaises nouvelles des familles et de l’Etat tout entier s’y déversaient dans un style sobre et d’une voix monocorde. Sept millions de vies contrôlées, catéchisées, étriquées, reliées de l’aube à la nuit noire par la magie des ondes…

Mais la radio est aussi associée au souvenir de sa famille : les parents vont découvrir une nouvelle radio écoutée en cachette : Radio Muhabura (1991 Font Patriotique Rwandais) qui émet depuis l’Ouganda ; Languida la sœur écoute RTLM (créée en 93 elle sera un outil de propagande … « Radio Machette) qui diffuse de la musique zaïroise ou bien Radio Burundi…

Je crois que les seules disputes qu’il y ait jamais eues à la maison étaient dues à la radio. Et il n’y avait pas de rires sans musique non plus. Si un jour, je devais constituer un album de notre passé, ayant perdu toutes les photos de nos années heureuses, je ferais un objet sonore. Ma mémoire est pleine de sons qui parlent d’eux

Inutile de vous présenter toutes les nouvelles… Retenez simplement que l’écriture puissante, faite de pudeur et de délicatesse n’empêche pas l’auteure d’aborder la réalité violente de l’avant et de l’après génocide. Comme l’écrit Sylvie Darreau des éditions La Cheminante :

Beata donne corps à la fleur de son âme poussée sur du béton, là ou l’altérité qu’elle chérit corrode la violence des temps présents pour donner chant à sa musique intérieur, intellectuelle, révoltée, courageuse, brillante et amicale.

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